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Bien sûr, déjà, son prénom anglais évoquera des idées d’intimité, de grand amour et de missive gardée secrète grâce à la fameuse Lettre à Elise de Beethoven. Ces sous-entendus relèvent pratiquement du cliché. Cependant, les non-dits, dans le livre qu’Elise Lai a créé à l’occasion de son exposition pour la maîtrise d’arts plastiques, ne relèvent pas du cliché mais bien d’expériences personnelles bien que souvent laissées anonymes. Intitulé Quelques divertissements, trésors et plaisirs (Some Leisure, Treasures and Pleasures), ce livre fait à la main (bien qu’on espère le voir publié un jour) et contenant textes et photos, fut décrit dans un bref commentaire de la plasticienne: « La plupart des guides de voyage dans les librairies sont écrits pour le divertissement ou au sujet de coins touristiques célèbres… Ceci est un guide de souvenirs provenant de toutes les personnes que j’ai interviewées, nos conversations eurent lieu d’une façon détendue et confortable, en dînant ensemble, en prenant le café ou en bavardant dans un endroit privé. Écouter, partager, entrer et prendre leur place dans ces expériences est une façon intéressante de communiquer, comme si j’étais capable de saisir une partie de leurs souvenirs. C’est une sorte d’intimité distante, atteignable et pourtant inatteignable. »
La même idée « d’intimité distante » se trouvait affichée dans la galerie sous la forme d’images et de textes dont les auteurs restaient anonymes. Même si les différences de tons dans le langage montraient assez clairement qu’il s’agissait de personnes différentes, que ces textes et images aient été fournis par l’artiste ou par ses amis était une information qui ne nous serait pas fournie, précisément pour nous permettre de nous les approprier. Une image prise de la fenêtre d’un train apparemment était accompagné du texte suivant : « Concentré sur des rêves éveillés tandis que le temps et les scènes derrière la fenêtre semblaient gelés cela me donne une chance de me concentrer sur n’importe quelle pensée et sur la personne à côté de moi.’ Une autre image nocturne de la Piazza San Marco : ‘Il était à peu près 10 ou 11 heures et il pleuvait un peu, calme et paisible mais pas vide. Senti romantique puisqu’un des types dans le groupe d’amis était quelqu’un de spécial, senti comme s’il n’y avait qu’eux deux à ce moment. Sur la place, il y avait une personne jouant de la musique avec son violon et une paire de couples se trouvaient là aussi, ils commencèrent à danser inopinément. Un peu envieuse de la jeune femme parce que ce couple était si libre tandis qu’ils réagissaient romantiquement à l’atmosphère de la place. »
Elise Lai Yuen Shan 賴宛珊,
Pas étranges (Strange steps),
acrylique sur toile, 50 x 70 cm, 2011. |
Ces images et textes eux aussi (Yim Sui fong 嚴瑞芳 montrait Histoires à vendre en même temps et dans un espace attenant) faisaient souvent penser à Sophie Calle. On se souvient que la plasticienne française s’était fait engager dans un hôtel pour pouvoir entrer dans la vie, même passagère, des habitants de cet établissement et la série de textes et de photos qu’elle en avait retirée est devenue une sorte de classique d’un certain tournant intimiste dans l’art conceptuel. Cet épisode fut lui aussi relaté dans la thèse qu’Elise Lai écrivit pour sa maîtrise. Mais il faut ajouter que cette thèse était pleine de références remarquablement bien amenées à la philosophie du quotidien, telle qu’elle fut développée par des auteurs tels que Michel de Certeau et Henri Lefevbre. Quoiqu’elle exerce son approche de l’intimisme avec une poésie parfois si subtile qu’elle pourra paraître mièvre à d’autres amateurs d’art, plus habitués à des formes de conceptualisation plus brutales, Elise Lai montre ainsi qu’elle s’adonne à son œuvre en toute connaissance de cause, sans naïveté et en faisant le choix de garder tous ces témoignages sur le plan d’une sorte de beauté un peu légère. Cette légèreté n’est pas superficialité, elle s’approche plutôt de ce qu’Italo Calvino avait autrefois défini comme ce qui différencie la mélancolie de la tristesse.
Cette légèreté se trouve aussi dans son usage de la peinture. On se souviendra que la peinture est une pratique artistique que bien des critiques d’art rejettent encore comme incapable de trouver sa place dans les bouleversements sociaux de notre monde. Il y a certainement une dimension d’évasion (« escapist » comme on le dit en anglais) dans les peintures d’Elise Lai, mais c’est une dimension entièrement acceptée et même revendiquée : encore une fois, il n’y a pas de naïveté de sa part dans ce choix. Toujours pour cette même exposition, elle montre clairement l’identité de peintre qu’elle a résolument prise dans une série de tableaux représentant ce que le voyageur peut voir de la fenêtre d’un avion. Je lui avais demandé d’ailleurs pourquoi elle avait choisi la peinture pour tenter de transmettre cette notion de « quotidien » qui lui est si importante : la peinture est souvent associée à l’idée de Grand Art et ne possède de ce fait que peu des caractéristiques qui pourraient lui permettre d’être « de tous les jours ». Elle me répondit, avec un soupçon de colère je crois, qu’elle était peintre et que la pratique de la peinture représentait son quotidien à elle. En ce qui me concerne, elle n’avait pas besoin de se justifier plus avant.
* Frank Vigneron (Professor - Fine Arts Department - The Chinese University of Hong Kong) |
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Elise Lai Yuen Shan 賴宛珊,
Avant le crépuscule ? (Before sunset?),
acrylique sur toile, 50 x 70 cm, 2011. |
誠然,她的英文名字借助貝多芬致愛麗絲的著名書信而令人想起親密、偉大的愛情以及暗通魚雁的浪漫。這些言下之意實屬老生常談。然而,在她為碩士論文舉辦的個展所寫的書裡,那未宣之於口的隱言卻絕非陳詞濫調,而是實實在在的個人經驗,雖然有時隱去姓名。這本書的書名為《Some Leisure, Treasures and Pleasures》。這是一本手工製作的書(大家希望有朝一日它能付梓出版),內容有文字、有照片,作者對它作了言簡意賅的介紹:「書店裡所見的大部份旅遊書均以遊樂或介紹著名旅遊景點為主…… 而我的這本書則可稱回憶導遊書,它集中了我所採訪過的人物的回憶。我們的傾談是在一個輕鬆舒適的氣氛中進行,我們一起晚餐、喝咖啡,在一個私人空間裡閒聊。傾聽、分享、進入,設身處地地體驗受訪者的經驗,這儼然是一種有趣的溝通方式,而我彷彿真的佔有了他們的部份回憶。這是一種疏離的親密,若即若離。」
「疏離的親密」這同一個理念在畫廊以圖像和文字的形式展示出來,作者均隱去姓名。儘管不同的語調足以表明作者各不相同,但這些圖像和文字究竟由藝術家抑或其友人提供,卻無可奉告,目的是讓觀賞者自己去捕捉。一幅顯然在一列火車的窗口拍下的照片附有以下的文字:「在沉入夢想之際,時間和窗後的景象彷彿凝固了下來,這讓我有機會專注任何事物、專注我身邊的人物。」另一幅是聖馬可廣場的夜景:「已是夜晚十點或十一點鐘光景,天空下着小雨,週遭靜謐、安詳但並不空虛。有浪漫的感覺,因為一群朋友中有一個古怪的傢伙,感覺到此時此刻彷彿只有他們。廣場上,一個人拉着小提琴,一對情侶也在那兒,他們突然跳起舞來。有點羨慕這個女人,因為他們是如此無拘無束,如醉如癡地沉浸在廣場的氣氛中。」
這些圖像和文字 (嚴瑞芳同時在隔壁的展廳展出她的《收買故事》) 讓我們想起 Sophie Calle。我們記得這位法籍女藝術家進住一家酒店,目的欲深入住在這個建築裡的人們的生活,雖然為時短暫。而她由此製作出來的一系列文字和照片,竟成了觀念藝術表現室內家庭情景的富轉折意義的經典。賴宛珊在她的碩士論文裡亦提及此事。應補充說明的是她的論文充滿了日常生活哲學的信息,像 Michel de Certeau 和 Henri Lefevbre 的著作一樣,她也作了充份發揮。雖然她在處理描寫室內情景的藝術時常用一種極微妙的詩意,對於那些習慣於比較粗獷的觀念藝術作品的觀眾而言,似乎顯得軟弱無力,但她卻全情投入創作,絕不天真,深明自己所為,賦予文字和照片一種極輕盈的美,這種輕盈絕非膚淺,她幾乎接近 Italo Calvino 所確定的如何區分憂鬱和傷感的境界。
Elise Lai Yuen Shan 賴宛珊,
Suspendu lourdement (Hang heavy),
acrylique sur toile, 50 x 70 cm, 2011. |
這種輕盈亦見於其畫作中。我們知道,繪畫這種藝術實踐許多藝術批評家仍甚為不屑,認為它不足以在人類社會變革中佔一席位。在賴宛珊的繪畫裡誠然有一種逃避現實的情緒 (英文裡叫escapist),但這完全為人接受,甚至訴求。我再重複一次,她的這種選擇絕非出於天真。她展出的一個旅人由飛機的舷窗望出所見景色的系列作品,清楚地展現了她畫家的身份。我問她因何選擇繪畫來表達對她而言至為重要的「日常生活」這理念:繪畫經常與嚴肅藝術相提並論,因此,它甚少具有「日常生活」的特性。她帶點慍色的回答道:她是一名畫家,畫畫便是她的日常生活。我想,她無需進一步為自己辯解。 |
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